mardi 7 juin 2016

De la fécondité dans la Bible



Il s’agit de l’extrait de la 1e partie du dernier chapitre d’un texte inédit sur la christianisme, que j’espère qui soit lisible hors de son contexte. Parfois, on y repèrera des références aux trois grandes scènes historiques de la Terre, à savoir : celle de l’alimentation concernant tous les vivants, dont la circulation se fait selon la loi de la jungle ; celle de l’habitation concernant les sociétés humaines, dont la circulation se fait selon la loi de la guerre ; celle de l’inscription, concernant les textes du savoir occidental, dont la circulation se fait selon la loi de la vérité.


L’énigme
1. Dans la très belle première page de la Bible hébraïque, avant le septième jour, à deux reprises il y a bénédiction du Créateur sur ce qu’il vient de créer : ‘Dieu les bénit et leur dit : ‘soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la mer […] la terre’’ (Gn 1,22,28), concernant les poissons et oiseaux le cinquième jour, les animaux terrestres et les humains le jour suivant. À ceux-ci, les plantes sont données en nourriture : aux humains, ‘tous les herbes portant semence’ et ‘tous les arbres qui ont des fruits portant semence’, tandis qu’aux autres animaux terrestres, ‘toute la verdure des plantes’. Lors de leur création, les plantes relèvent de la ‘terre’, de même que les animaux terrestres : ‘que la terre verdisse de verdure : des herbes portant semence et des arbres fruitiers donnant sur la terre des fruits contenant leur semence’ (1,11). Déjà la semence (l’agriculture sans doute) y était privilégiée, sans recevoir toutefois de bénédiction[1], laquelle semble viser seulement les animaux, eux qui doivent chercher de la nourriture[2] et dépendent donc de l’aléatoire[3].
2. ‘Soyez féconds, multipliez-vous’ : comment ne pas y lire l’énigme par excellence de la Terre, à la différence de tous les autres astres connus ? L’énigme, percée par la biologie moléculaire dont la logique est au cœur des théories modernes de l’évolution, dont Prigogine a repéré le secret en termes biochimiques (la production d’entropie dans chaque cellule), l’énigme de ce que Derrida a nommé la ‘trace’ vivante[4], au-dessus des graves. Énigme dont les mythologies racontent que seuls les Dieux au Ciel – le soleil, la lumière et la nuit, la chaleur et le froid, la pluie et le vent – tiennent le secret, que c’est leur moyen de gouverner les humains. Énigme centrale de la phusis (du verbe grec phuô, pousser, croître), au cœur de la curiosité d’Aristote, de ce qui l’étonne et lui donne à penser : ce qui est susceptible de croissance par soi-même, défini par son mouvement autonome (génération et corruption, altération en quantité et en qualité, déplacement). Et peut-être plus que cette croissance, une énigme qui contredit une maxime médiévale, car la fécondité, c’est cette multiplication qui a rempli la Terre : du moins est sorti le plus. ‘Anomalie logique’ (cachée) que seules la photosynthèse et la biologie moléculaire ont pu expliquer, qu’il n’est pas impossible que ce soit ce qui a demandé une source créatrice à partir du rien, ex nihilo. S’étonne-t-on assez de ce que tout vivant commence par le presque rien d’une cellule qu’il faut bien protéger dans sa germination ? Et de même que tout savoir commence par on ne sait quoi de minimum qui vient jouer dans des neurones vierges, passifs, et parviendra avec le temps à les activer ?
3. Platon, lui, est fasciné par une autre sorte de fécondité, celle de la pensée au-delà de ce qu’on a appris (l’esclave du Ménon : Socrate montre qu’il ‘sait’ de la géométrie sans l’avoir étudiée). Tout comme les mythes auxquels il ne croit plus, Platon a recours au Ciel, à la contemplation des Formes idéales éternelles par l’âme avant de choir dans un corps terrestre. C’est là aussi l’une des grandes énigmes de la pensée occidentale, celle de la spontanéité de la raison qui arrive à penser ce qui la dépasse, les plus grands, Descartes, Leibniz, Kant, Husserl, ayant essayé de leur apport à cette si haute question, les deux premiers en la faisant dépendre de Dieu, les deux autres le congédiant. Derrida a montré comment, dans le Phèdre, en se défendant de l’écriture, Platon a eu recours au motif de la paternité / filiation pour comprendre le rapport ‘vivant’ de celui qui parle avec son ‘fils’, le logos, son discours (l’écrit, par contre, serait ‘orphelin’ et bâtard). Plus tard, après le tournant du Parménide, suscité par ses discussions à l’Académie avec son nouveau disciple, Aristote (135d), il théorise dans le Théétète ce rapport de paternité / filiation à travers la métaphore de l’accouchement[5] : de même que sa mère accouchait des corps des femmes (des bébés ou des chimères sans bébé), Socrate accouche des âmes des hommes, la question étant déplacée par rapport à la réminiscence du Ménon. Toujours énigmatique, il s’agit maintenant de discerner dans le discours en train de naître le discours vrai des chimères, des fausses couches. La fécondité, oui, mais pour aboutir à quoi ? Les arbres se reconnaissent à leurs fruits, répondra en écho le discours sur la montagne.

Des bénédictions aux béatitudes
4. Dt 28 et Lv 26 illustrent la conception des Prophètes sur la bénédiction en tant que fécondité : le Dieu de l’alliance est à la source des grossesses des femmes, de la croissance des plantations et des troupeaux. ‘Yahvé te fera su­r­abonder de biens : fruit de tes entrailles, fruit de ton bétail et fruit de ton sol, sur cette terre qu'il a juré à tes pères de te don­ner’. De même, est-il le garant des victoires militaires d’Israël. Et le revers de la bénédiction, la malédiction – stérilités, disettes, défaites – revient aussi à Yahvé, le rapport étant établi entre prospérité et dépérissement et les attitudes éthiques du peuple, de chaque maison. Voici toutefois que ce rapport, au cœur pourtant de l’alliance, se révèle démenti par les faits : c’est la si­tuation du juste Job, à qui échoue la malédic­tion. Tout le poème – qui est autonome de l'introduction en prose et du corré­latif ‘happy-end’[6] – est une lon­gue discussion sur ce scan­dale ma­jeur, un texte surtout de questions quasi philoso­phiques en ce sens : si l’on y cherche des ‘causes’, des ‘explications’, on ne re­trouvera que le ‘sans raison’ des desseins et de la sagesse divines, que l’insondable de son mystère, Job représente la dimension exis­tentielle, pour ainsi dire, de la séparation bien / mal consommée par les Prophètes. C'est la critique de cette coupure, le registre du don (barak, sort, chance) avant elle[7], sans cause autre hors de lui, mais qui pose problème lorsque la béné(malé)diction n'est plus rattachée à la suite généalo­gi­que des an­cêtres et que des critères éthiques n’arrivent plus à dé­cider. Or, déci­der, c’est ce qui fera le geste rédacteur, sans doute posté­rieur et d’une autre main, qui a lié dérisoi­rement les deux morceaux de prose au poème : la dé­tresse de Job est imputée, non plus à Dieu[8], mais à Satan, à une autre source donc. Il y aura donc dorénavant deux sour­ces, l’une pour le bien et l’autre pour le mal[9], dont témoigne la lit­térature apocalyptique à quoi se rattachent les deux premiers évangiles synoptiques.
5. Les Béatitudes de la montagne reprennent la fécondité, certes, pas toutefois sur le registre des semences et de la phusis, plutôt sur l’autre registre du nouveau Testament, celui de la ‘folie’ de 1Co 1,26-9. En lui donnant une allure de nouveau Moïse : ‘n’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes ; je ne suis pas venu abolir, mais accomplir (plêrôsai, rendre par-faite)’[10] ; ‘vous avez appris qu’il a été dit aux ancêtres […] Eh bien ! moi je vous dis […]’, audacieuse prétention reprise six fois. Il s’agit de parfaire ce qui était imparfait, ‘à cause de votre dureté de cœur’, dira-t-il à propos du divorce (Mt 19,8). On tient compte donc de l’enjeu des envies, qui empêche de transposer la fécondité du niveau de la scène biologique de l’alimentation à celui de l’habitation, comme les Prophètes ont essayé et Job constaté l’échec. Sorte de fuite en avant, il aura fallu la perspective exaltante d’une eschatologie imminente pour que cette nouvelle loi spirituelle ait pu être proclamée.

De la création à l’eschatologie
6. Le Ciel est le lieu du recours des humains à la fécondité au-delà de la mort, de la corruptibilité terrestre, fécondité qui – dans toute société à base d’énergie biologique – n’est pas à la portée des humains, ancêtres ou actuels. Le mouvement régulier des astres, dans sa reproduction éternelle, assure l’aléatoire météorologique (pluie, lumière, chaleur) dont dépendent les prémices de la donation divine – humains mâles, troupeaux, moissons, vendanges – qui doivent être retournées en sacrifice. Or, la fécondité au-delà de la mort comme don du Ciel du Divin à la Terre des Mortels, comme dirait Heidegger, reprenant sans cesse en cycles ancestraux – semer -> s’élever (speiretai -> ergeitai), chez 1Co 15 –, parvient à s’achever dans la figure du Fils de l’Humain de Daniel, reprise par les synoptiques et 1Th 4,15-7, seule façon de justifier l’éthique prophétique de justice, une fois celle-ci déliée de la tâche politique impossible de se débarrasser des Romains.
7. En termes phénoménologiques, la fécondité consiste dans une oscillation entre petites répétitions et leurs excès, ceux-ci rendant manifeste qu’il y a donation[11], autrement en retrait dans la routine. La reproduction en tant que routine, susceptible d’un certain calcul, on y est habitué, on peut plus ou moins escompter ce qui en adviendra, sans étonnement. C’est devant la fécondité qu’il y a étonnement. Certes, celui-ci peut venir avec le zoom de l’approche scientifique sur la routine : compréhension, expérimentation, définition. Et plus encore chez les artistes, qui jouent plus près de l’excès et donc de l’étonnement devant l’événement, le singulier. Or, le motif de la fécondité selon les semences s’ajuste à Aristote, car c’est la logique entropique de la phusis qui est invoquée comme continuité, comment de la mort sort la vie, soit le quasi transcendantal biologique : le quasi transcen­dantal d’habitation et d’inscription entraînerait éthiquement celui de l’alimentation, donc le banquet messianique à la suite de la résurrection. Tandis que Platon met en scène le banquet pour s’en débarrasser, tous ivres sauf Socrate ; il joue sur la rupture de l’inscription par rapport à l’alimentation et à l’habitation : l’âme, c’est le déplacement des envies en vue de l’autosuffisance, de son autarcie éthique qui demanderait un jeûne et une abstinence durables, voire éternelles. C’est la fécondité communautaire du Fils de l’Humain qui a été oubliée par le Fils de Dieu descendu et par l’économie de l’âme, toute cette fresque trinitaire d’incarnation et de salut venant se référer à chaque âme – pure ontothéologie –, ce qui reste vrai probablement des moînes eux-mêmes. Il faudrait dès lors rapporter cette question à celle de ‘l’oubli de l’être’, de la phusis justement en tant que fécondité surprenante : l’âme est l’oubli de la fécondité.
8. La fécondité est la première ‘propriété’ de la vie, déjà chez les plantes ; d’être affecté, par les autres et par soi-même, c’en est la deuxième, propre au monde animal. Or, cette fécondité énigmatique, invention du Créateur, suppose que son hétéronomie s’efface en donnant : c’est la création ex nihilo, la condition de l’autonomie des vivants créés. Par contre, la notion de pouvoir est une invention humaine, l’hétéronomie qui ne s’efface pas, qui privilégie son auto-affectation, ses envies d’être envié, qui impose par la force aux autres – non pas la fécondité, certes – de mettre leurs bras, leurs muscles à énergie biologique, à son service à lui, patron, qui peut ainsi s’approprier des moissons, vendanges et troupeaux, des bénédictions données par le Créateur, pour affirmer sa richesse, sa puissance, en se réclamant en plus du Dieu du Temple où il lui fait offrir des sacrifices[12]. C’est ce que Jésus a compris, en recueillant les traditions de ses devanciers : c’est cette appropriation du don, de la fécondité, à la base de la richesse dans ces sociétés à maisons agricoles, qui est la racine de tous leurs maux, de leurs envies meurtrières, agressives, mensongères, hypocrites, dudit péché. La maison riche soigne ses alliances, sa parenté, sa ‘chair’ qui ne veut que se reproduire riche. Jésus a donc dû transposer la loi de la fécondité chez les vivants : de la scène de l’alimentation – effacement de la donation en tant que condition de leur autonomie – à la scène de l’habitation, il a pensé le déplacement de la semence vers le pauvre pur de cœur, dont la seule envie est de chercher la justice du Royaume de Dieu. La loi de la fécondité a été ainsi étendue de la création à l’eschatologie (en effet, l’eschatologie imminente répondait à la critique de Job).
9. Jésus nous a donc appris la loi de la fécondité au-dessous des moyens de pouvoir social (armes, richesse, savoir acquis et assis), la logique eschatologique du Fils de l’Humain, en tant que loi de la sainteté, celle du petit qui devient grand, du fou qui est sage. Mais puisque c’est au niveau des envies réciproques que se joue l’enjeu, c’est la loi de la guerre qu’il faut renverser : par le précepte de l’amour du prochain qui transborde, fécond. L’excès éthique pour la justice, face au scandale de l’injustice et de la souffrance, voici ce qui dans cette tradition parle de Dieu. La différence de Jésus, par rapport aux prophètes et aux apôtres : il a été le seul qui a eu un récit à lui. Les prophètes ont toujours parlé au nom de Dieu, pas Jésus, chez qui l’on ne trouve jamais le mot prophétique typique ‘Dieu a dit’, ‘oracle de Yahvé’ ; tandis que les apôtres ont annoncé Jésus en tant que messie, après que lui-même l’ait fait solennellement au Sanhédrin. Ni Jésus (au contraire : ‘moi, je vous dis’) ni ses apôtres ne parlent plus au nom de Dieu : c’est dorénavant la fécondité qui ‘parle’ au nom de Dieu, les récits d’amour qui la racontent (le logos, chez Marc).

La semence et la résurrection
10. Or, semer -> s’élever, c’est au fond la reproduction, végétale ou animale : (gamètes sexuels) -> semence -> plante ou enfant. Et c’est aussi la loi de l’évolution à travers les cycles des générations – naissances, morts, naissances – par lesquels justement la vie dépasse la mort avant le vieillissement (ce que j’ai appelé, en termes derridiens, des quasi transcendantaux). Et c’est ainsi que Paul (1Co 15) reprend le semer -> s’élever pour penser la résurrection en tant que continuation du terrestre dans son aboutissement céleste. Sans doute, ce n’est qu’une ‘image’, une métaphore, à nos yeux modernes ; mais dans une société où la seule forme d’énergie connue est de l’ordre du biologique, de la fécondité énigmatique (‘sans que [le semeur] sache comment’, Mc 4,27) qui passe par la mort (‘ce que tu sèmes, ne reprend vie s’il ne meurt ; et ce que tu sèmes, ce n’est pas le corps à venir, mais un grain tout nu, du blé par exemple, ou quelque semence ; et Dieu lui donne un corps à son gré, à chaque semence un corps particulier’, 1Co 15,36-8), c’est un argument qui joue sur ce qui étant impossible aux humains (la fécondité d’une semence) est possible à Dieu (la résurrection). C’est un argument ‘juif’, qui vaut pour l’eschatologique des paraboles du Royaume de Dieu et du Fils de l’Humain, mais il est plus général, valable aussi pour les Hellénistes ; ‘universel’ en ces sociétés à base d’énergie biologique, il dispense les arguments d’Écriture. Les rares Grecs chrétiens qui essaient d’argumenter la résurrection n’auront pas d’autre argument.
11. C’est donc la fécondité qui ‘mérite’ résurrection, elle seule a pu la ‘penser’ ; seule la fécondité inouïe du récit de Jésus, qui a porté ses disciples à reconnaître en lui le Messie et l’espérance eschatologique, a pu susciter celle-ci au-delà de ce que Jésus lui-même avait enseigné, le ressusciter, si c’est vrai que, de même que Paul, il a cru en leur ascension collective sans avoir à passer par la mort. Le discours sur la montagne et les récits synoptiques ne s’attendent pas à sa mort, c’était sa fécondité dans sa ‘chair’, pour parler comme Paul et contre lui, qui devrait aboutir à l’ascension eschatologique du Fils de l’Humain. Fécond est celui qui suscite des féconds qui suscitent des féconds, la fécondité est ce qui excède les paradigmes de la reproduction : chez les vivants, c’est ce qui excède l’autoreproduction d’un vivant, par rencontre avec un autre vivant, ils reproduisent d’autres vivants ; chez les humains, ce qui, immotivé, ‘suscite’ des événements capables de susciter des événements, même après la mort des féconds; inventer un nouveau paradigme qui se reproduit en s’élargissant, c’est de la fécondité, autant que la naissance de ce qui grandira. Du point de vue phénoménologique, c’est la ‘fécondité’ qui teste la foi[13], comme tout penseur ou artiste dans son aire. Or, Jésus meurt à l’abandon, ses disciples n’ont donc pas pu accepter ce meurtre au bout d’une telle fécondité de sainteté, c’est sans doute où se situe le secret du Souffle, ce qui pousse à chercher des fruits, comme dans les récits de fécondité qui attirent, venus de gens simples, sans les moyens de pouvoir (des fétiches) adéquats[14]. Dans la pensée juive, l’eschatologie (‘la foi est la garantie des choses que l’on espère’, Heb 11,1), et donc la résurrection, est le corrélat des ‘choses surnaturelles’, manifestées au niveau des corps et donc devant en donner des signes, la fécondité justement. Cela n’a aucun sens pour Platon, dont la maïeutique du Théétète cherchait à définir le savoir scientifique, ayant délaissé les préoccupations socratiques avec l’apprentissage de la vertu.
12. En bref, le Dieu juif, en repos dans son sabbat, que personne n’a jamais vu et dont le nom est imprononçable, dès la création ex nihilo et les bénédictions jusqu’à leur renversement dans le discours de la montagne et à la ‘folie’ de chez Paul (qui est le renversement synoptique renforcé par le meurtre sur la croix, suprême pauvreté et dénuement), et jusqu’y compris à la résurrection, le Dieu juif est la source cachée de la fécondité, ou grâce. Ce que cela peut donner pour nous aujourd’hui, fécondité de spirituels : aider à l’augmentation autour de soi de la bonté, générosité ou amour, de l’intelligence, pensée ou sagesse, de la justice, du courage, de la beauté, tout ceci étant au-delà de l’ordre du paradigme, de l’apprentissage, relevant de l’ordre de la qualité, du témoignage. Comment y arriver ? Le discours sur la montagne en donne des consignes, toujours utiles, mais difficiles. On peut y voir aussi des clefs des grands combats pour la justice, des inventions des arts et de la pensée. Il a l’avantage d’être repérable phénoménologiquement par n’importe qui, s’il a des yeux pour voir et des oreilles pour entendre : que l’arbre se reconnaît à ses fruits. La seule approche de Dieu, c’est la foi dans cette fécondité de l’amour dépouillé du prochain. Les saints sans doute, connus et anonymes[15], mais d’autres gens dans d’autres arts, peuvent dire qu’il leur est arrivé de faire des choses bien au-delà de ce qu’ils pouvaient, au-delà de ce qu’ils ont jamais rêvé.



[1] Les semences relèvent, en tant que mécanisme de la fécondité des espèces, de l’extraordinaire invention par l’évolution de la sexualité en tant que gaspillage invraisemblable, car en vue de la réussite de seulement quelques unes, rencontrées par hasard (et non pas aléatoirement).
[2] ‘Les oiseaux du ciel ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent en des greniers, et votre Père céleste les nourrit’ (Mt 6,26).
[3] Pas de loi de la jungle dans Gn 1, toutefois : tous les animaux sont censés être herbivores. Le fait que cette création des plantes soit le complément de ce qu’il semblerait une deuxième création de la terre (en tant que ‘continent’, séparé des mers), faisant avec elle le ‘troisième jour’ (1,9-13), permet d’éclairer le fameux tohu bohu (‘la terre était vague et vide’, 1,2) qui de tout temps a beaucoup intrigué les exégètes : n’ayant pas encore de plantes, elle était inhospitalière, inhabitable, n’était pas encore terre de bénédiction, aride comme on sait aujourd’hui la lune. Théophile d’Antioche confirme cette lecture : « Faite visible, la terre était toutefois informe. Dieu ensuite lui a donné forme, la ornant de toute sorte de herbes, semences et plantes » (II Livre a Autolycos 13, Ruiz Bueno, 1954, p. 802). Au sens d'Aristote relu par Heidegger, c'est la terre qui n'est pas encore phusis, laquelle en termes bibliques est la terre de béné­diction.
[4] La mêmeté des espèces et des genres, dans des individus différents entre eux. Rendant possible plus tard d’autres formes de mêmeté, dans les sociétés et dans leurs langues.
[5] Sage-femme : maia, d’où maïeutique.
[6] Une préface (Job 1-2) et une postface (Job 42,7-17).
[7] Le verbe ‘donner’ est pré-éthique: on ‘donne’ autant un baiser qu'un coup de poing.
[8] C'est là le caractère dérisoire de l'affaire, car le poème perd son sens avant même sa lecture.
[9] Cette bi-donation n’a pas pu être tenue sans multiplication des donations, bonnes (les anges) et mauvaises (les démons).
[10] Accomplir le Deutéronome : Jésus a commencé par 40 jours au désert.
[11] Ne coïncidant pas avec l’espèce biologique qui se reproduit, elle est ce qui rend possible l’évolution biologique.
[12] Déjà Dt 8,17-8 insistait que ce n’était pas la force du bras humain qui lui procure son ‘pouvoir’.
[13] Et non pas l’intériorité de l’âme (les bonnes intentions), sauf peut-être dans les débordements mystiques.
[14] Une philosophie de l’âme qui réduit les corps n’a pas les moyens d’affirmer quoi que ce soit de ‘surnaturel’, sauf ce qui arrivera à l’âme hors du corps.
[15] Parmi lesquels, des gens innombrables qui, dans des vies très dures, tiennent bon, persévèrent dans l’être, dans la vie, parce que ‘il faut’, persévèrent au-delà, bien au-delà de ce qu’ils peuvent.

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